Akrame Benallal : un diner à la belle étoile
Le jeudi c’est pas ravioli mais idée de sortie ! Et en l’occurrence, l’adresse que je vous propose aujourd’hui va emporter vos papilles bien loin de votre boite de ravioli de secours, mangée un soir de grande disette alimentaire, puisqu’il s’agit du restaurant … Akrame.
Ce chef, tout fraichement étoilé, a déjà un solide bagage (Pierre Gagnaire, Ferran Adria entre autres puis un début de parcours individuel à Tours) et une réputation qui n’est plus à faire chez les fins gourmets parisiens (et non parisiens d’ailleurs !).
La décoration de la salle reflète la cuisine du chef : une base sobre, classique et confortable dans des tonalités de gris et quelques photos de femmes tatouées qui réveillent l’ensemble et vous scotchent !
Le soir, deux menus vous sont proposés. Le jeu consiste simplement à choisir le nombre de plats (4 ou 6) car les intitulés ne sont pas indiqués : surprise pour les convives et plus grande liberté de création pour le chef qui change ses plats en fonction de ses envies et de ses arrivages. Seul petit bémol, tous les convives doivent choisir le même menu. Nous choisissons donc le menu à 4 plats même si l’As des As se serait bien laissé tenter par celui à 6 !
Pour ne pas me répéter tout au long de la valse des plats, autant vous le dire tout de suite : tout est parfaitement construit et extrêmement bon. Parfaitement construit car chaque plat est un équilibre impeccable de textures, saveurs, note d’attaque et note de fond. Extrêmement bon car c’est une cuisine qui parle au cœur. La technique et la créativité ne sont ici qu’au service de la goût : on ne réfléchit pas, on se régale ! Voici maintenant le détail par le menu …
On attaque l’apéritif avec un trio craquant : papier à l’encre de seiche et anguille fumée (excellent, le goût de l’anguille est bien présent mais sans être agressif comme cela peut être le risque parfois), stick de guacamole (classique mais agréable avec sa pointe de citron vert) et sablé au vieux parmesan, caviar des champs (œufs d’escargot ?) et graines de hareng (très bon entre le friable du sablé, le craquant des œufs, le goût fruité et piquant du parmesan et la note iodée).
En amuse-bouche, nous est servie une réinterprétation de l’œuf mayo, véritable démonstration de la capacité du chef à retravailler et sublimer des accords traditionnels. Un œuf cuit à basse température, entouré d’une mayonnaise chaude et parsemé de quelques lardons. Honnêtement, je ne suis pas très fan de l’œuf mayo classique mais j’ai adoré cette version absolument pas écœurante ! La mayonnaise est bien relevée et vinaigrée pour contraster avec la douceur onctueuse de l’œuf et les lardons apportent un peu de texture et d’amusement sous la dent. Doux, acide, croustillant, moelleux, … tout y est !
Premier plat : filet de lieu jaune au comté, poudre de pain brûlé, purée de pommes de terre, olives vertes et aérée de beurre noisette. A nouveau un plat parfaitement construit (je vous avais prévenu que je risquais de me répéter !). Contraste de textures entre la chair tendre du poisson, le mousseux du beurre noisette, le « croustillement » de la poudre de pain brûlé et l’onctuosité de la purée. Contraste de saveurs entre la dominante plutôt chaude et ronde (purée de pomme de terre, pain brûlé au goût noisette, …) et la touche du chef qui donne du pep’s et du relief au plat : des olives vertes et un confit de citron (la goutte en haut de l’assiette) qui apportent fraicheur, acidité et astringence à la dominante ronde et douce.
Deuxième plat : Huitre givrée au safran de Limoges. Cette bouchée m’a un peu moins enthousiasmée … En effet, pour moi (il ne s'agit que d'une impression personnelle !) le safran n’arrive pas à s’imposer sur la note iodée incroyablement présente et la fraicheur de la bouchée (alors qu'on distingue très nettement les pistils sur la photo !). L’huitre est excellente, on a l’impression de prendre une grande bouffée d’air marin … mais on peine à retrouver la saveur si délicate et subtile du safran (que pourtant j’adore !).
Troisième plat : Quasi de veau cuit tout doucement, céleri et fraises des bois, filet d’huile d’olive à l’écrasée poivrée et purée d’artichaut croustillante : le deuxième coup de cœur du repas ! La fraise des bois amène parfaitement le goût délicat du veau et le céleri ferme la marche. La purée d’artichaut est à se damner avec sa pointe de crème qui apporte un acidulé agréable et sa coque croustillante pour amuser les papilles (honnêtement, j’en aurais bien repris une deuxième, je me suis régalée !)
Arrive ensuite le pré-dessert : Comme un riz au lait, caramel et cacahuète. Vraiment très bon, avec toujours ce jeu de contraste de textures et de saveurs. Peu sucré, ce pré-dessert rempli parfaitement son rôle de transition entre le salé et le sucré : fraicheur lactée et légère et juste une pointe de caramel assez fort sans être amer pour amener nos papilles vers le dessert.
Et enfin, last but not least : le dessert : Jeu de go de texture betterave/framboise, sorbet cachou. Malheureusement, le dessert reste, pour moi, la petite déception de ce superbe repas. En effet, je trouve qu’on ne retrouve pas ici ce qui fait la marque des autres plats, à savoir des saveurs bien distinctes mais qui s’accordent parfaitement entre elles au fur et à mesure de la dégustation (ce n’est qu’un avis personnel, ma mère a beaucoup apprécié ce dessert !). Ici, le sorbet cachou est très puissant, le trait de crème aigre est bien acidulé mais l’accord central betterave/framboise est flou et diffus (on ne sent ni l’une ni l’autre mais juste un goût sucré). L’association de saveurs annoncée est intéressante (je n’ai pas peur des accords étonnants !) mais je trouve l’ensemble plus « bancal » que les autres plats. On cherche à comprendre les goûts et la réflexion du chef et, par conséquent, on ne se régale pas (j’ai préféré le pré-dessert au dessert).
Pour ne pas rester sur une impression en demi-teinte, quelques mignardises accompagnent le café : tarte au citron meringuée, bonbon réglisse et tablette de chocolat à déguster ou à emporter chez soi.
Le mot de la faim
Le chef a beau être assez jeune, il possède déjà un style très personnel et une vraie capacité à partir de saveurs « classiques » pour en faire des accords ébouriffants grâce à sa touche perso ! Mais surtout, avant d’être belle, originale ou incisive, sa cuisine est extrêmement bonne (je sais, ça peut paraitre bête de le dire mais ce n’est pas toujours le cas !) et satisfait les papilles, le cœur et l’esprit.
En deux mots, Akrame Benallal, c’est une puissance de feu sous une main de velours !